HCSHR 5:06 – Geneviève Rey, Pierre DesRochers, L’écho du vent.
HCSHR 5:06 – Geneviève Rey, Pierre DesRochers, L’écho du vent. Préface de Marianne Kugler ; Postface de Francine Saillant. La pruche et le pin, maison d’édition, 2019, Prix : 25,00 $. pierremdesroc@gmail.com
recension
par © Janick Belleau
Il est des poètes qu’on découvre par hasard, puis qu’on retrouve, avec un plaisir renouvelé, dans des revues et des anthologies spécialistes du haïku. Geneviève Rey est l’une de ces poètes que je lis depuis plus de 15 ans (premier haïku lu dans la revue Gong, no 2 de l’AFH, paru en décembre 2003 : « tu dors paisible / le pli de ta paupière / m’est si familier » ) ; pour ce qui est de Pierre DesRochers, j’ai fait sa connaissance en 2016 lors du Festival de l’Association francophone du haïku (AFH) à Québec.
Dès le Liminaire, la table est mise. L’autrice (GRD) et l’auteur (PDR) avertissent qu’il s’agit de haïkus et de tercets, d’aquarelles et de photographies. La préfacière, Marianne Kugler, haïkiste/artiste peintre, résume ces modes d’expression : le « haïku décrit l’instant, l’aquarelle l’imagine, la photo le fige ». Pour sa part, la poétesse/artiste peintre, Francine Saillant, a très bien saisi, dans sa Postface, l’esprit du haïku. Selon Umberto Eco et je cite la postfacière : « L’oeuvre ouverte est celle qui prolonge l’oeuvre vers le lecteur qui lui attribue des significations nouvelles, détachées des intentions de l’auteur » – dans ce recueil à deux voix, les poètes écrivent, en quelque sorte, l’un après ou avec l’autre et se lisent, l’un et l’autre. Leurs sensibilités se rejoignent ou se complètent dans leur façon d’appréhender, de voir la Nature. Le résultat communique l’impression d’une parfaite symbiose entre les textes de nos deux poètes-lecteurs du Québec.
Le recueil se découpe en neuf courts volets. Les cinq premiers offrent un long coup d’oeil personnel sur la Nature tout en ayant un intérêt universel. Les humeurs saisonnières s’échelonnent de solstices en équinoxes ; deux éléments se côtoient parfois dans un même haïku – quelques exemples suivent. Signalons déjà que les poèmes de l’autrice s’alignent en caractères droits et ceux de l’auteur s’inclinent en italiques.
dénudées par l’hiver / les branches des arbres / accrochent les nuages
la pleine lune / et un ruban de nuage / reflets sur le Fleuve
ciel marine / montagnes couleur de nuit / la lune se lève
le soleil levant / caresse le vent marin / - traversier vide
Dès le premier volet « Le ciel dans la fontaine », on sent le souffle de la vie qui naît tant sur un terrain caillouteux que sur des vagues refluantes.
entre les rails / une petite fleur jaune / si vivace
de vague en vague / la respiration de l’eau / un Fleuve, une vie
Les volets deux « Marines » et trois « Le feuillage en feu » proposent « en mille éclats / le soleil » ; « dans le soir qui descend » ; « la marée emporte / mon château de sable » ; « érables flamboyants / sous la pluie battante ».
Le volet « Où sont passées les tourterelles ? » : Ah, l’hiver québécois avec sa froidure et ses tempêtes de neige. Peut-on les blâmer d’émigrer ?
« Les jours rallongent » : dans le volet le plus court, on prend le temps d’admirer « l’orme majestueux / et ses feuilles à peine ouvertes » ; de remarquer que « sur l’étang / court un frisson vert » ; « mais l’odeur du lilas » ; « ses fleurs de neige et d’ivoire » remporte la palme.
Le volet « Les îles de l’enfance » s’avère, pour moi, le plus touchant de tous. Les souvenirs d’enfance refont surface aux portes du vieillissement : « premières lettres tachées d’encre » ; « au gré du vent / le ballon perdu » ; « le jardin de l’enfance / était-il si petit ? »
Sublime, ce poème-ci :
dans le miroir / l’enfant d’hier regarde / une vieille inconnue
Réconfortant, celui-ci :
sous le chaud soleil / le moulin nourricier / - les bras d’une mère
Dans « Horizons lointains », on s’évade, on explore, on se dépayse. Pour qui aime voyager ou rêver, ce volet est source de régénérescence. Il fait (re)naître la vie douce, les séjours heureux, les expériences sensuelles : « glisse la vive goélette » ; « le blanc des villas » ; « vapeur du hammam ».
Savoureux, ce poème-ci :
grand ciel d’azur - / aux branches des baobabs / le pain de singes
Incommensurable, celui-ci :
carte du monde / grand voyage / dans ma tête
« L’aube à la fenêtre », le plus long des volets. Prendre le temps de se reposer. Ah, mais l’insomnie. Composer avec le présent : « déjà une première ride ». Apprécier les plaisirs innocents : « l’eau de la fontaine / sur mon visage » ; « baignade sous la pluie ».
douceur du violoncelle / et café au lait / - matin calme et gris
Se remémorer un passé plus ou moins lointain :
cette jeune femme / dans un portrait jauni / ma grand-mère
les ocres / de l’écorce en lambeaux / - la fin d’une vie
Depuis « Les îles de l’enfance » les auteurs se sont dévoilés peu à peu et ont partagé avec nous des souvenirs de famille et de voyage, des moments de grâce, quelques regrets. Une même symbiose perçue plus tôt se dégage dans la façon d’exprimer ces fragments de vie donnant ainsi toute son unité au recueil.
Le dernier volet « Tu souris en dormant » entrouvre pudiquement la porte de l’espace privé de chaque poète. Souvenirs de jeunesse, gestes et regards amoureux, sentiments d’amitié, absences, départs – enfin tout ce qui constitue le tissu de la vie humaine.
au matin d’hiver / les draps sont doux / ne te lève pas
si léger / le poids du temps qui passe / coeur serein
Quelques haïkus, en finale, se tournent vers « notre monde et ses drames », « les frontières hostiles », « l’autel / des tyrans » cependant un dernier haïku est habité par l’espoir :
aucune prison / ne pourrait l’enfermer / liberté
Je me suis surprise à lire ce recueil, ou plutôt à tourner ses pages, comme s’il s’agissait d’un album d’images en couleur – des images à côté desquelles surgissent des mots. Peut-être est-ce le format carré du recueil et la qualité du papier et de l’impression qui suscitent cette approche… à moins que les aquarelles y soient pour quelque chose. En effet, la majorité des dessins champêtres de nos deux poètes/artistes peintres se rapprochent d’un certain impressionnisme tant pour les couleurs que pour la texture que l’on devine ; quant aux visages esquissés par GRD, ils rappellent parfois l’art de Cocteau. Les photos en couleur de PDR captent entre autres des végétaux et des volatiles, dans l’une ou l’autre des saisons. L’ensemble des dessins et des photographies porte à la rêverie, tantôt douce tantôt nostalgique. Somme toute, l’harmonie entre textes et dessins règne admirablement.
Un dernier mot : la maison d’édition La pruche et le pin est un organisme sans but lucratif dont le « but n’est pas de faire des profits mais de promouvoir la littérature et l’art ». Pari réussi.
recension
par © Janick Belleau
L’ÉCHO DE L’ÉCHO… Le carnet du Haïku, no 4
(septembre 2021)
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