HCSHR 4:22 — Jocelyne Villeneuve, Alone after being Alone
HCSHR
4:22 — Jocelyne Villeneuve, Alone after being Alone. Illustrations de
Rebecca Cragg. Ottawa : Éditions des petits nuages, 2020. 978-1-926519-47-0. 87 pages. 20$Canada, 25$USA, frais d’envoi compris. mike58montreuil@gmail.com
réflexions de lecture par Janick Belleau
Tiré du Fonds d’archives de l’autrice Jocelyne Villeneuve (Val d’Or, Québec, 9 février 1941 – Sudbury, Ontario, 8 mai 1998), son manuscrit « Personal Haiku », écrit entre 1984 et 1986, ne verra le jour qu’en 2020 grâce à l’initiative du poète-éditeur Mike Montreuil. Le mot de la fin (Afterword) de l’éditeur nous apprend que le tapuscrit original compte plus de 1 500 petits poèmes, écrits en anglais, desquels l’éditeur en a choisi 206 par « ordre chronologique » certes, mais non avalisés forcément par l’autrice. De quoi s’agit-il dans ce recueil rebaptisé Alone after being Alone ? C’est une histoire d’amour – nous y reviendrons plus précisément sous peu. Un horrible accident de voiture, survenu en 1967, a laissé Jocelyne Villeneuve quadriplégique.1
Ce drame routier, la force à 26 ans à changer de carrière, à réinventer sa vie. Ayant travaillé dans le milieu littéraire, il lui semble naturel que sa 2e vocation soit l’écriture. Penchons-nous sur une/son histoire d’amour peu banale et reconnaissons que le contenu du livre soulève moult questions. Nous laissons donc à la lectrice / au lecteur le soin de supputer et d’en tirer une conclusion.
Ce recueil de « haïkus personnels » ressemble à un journal intime, à un long monologue intérieur, à une descente au fond de soi. Une histoire d’amour laquelle peut être perçue comme un roman de suspense-haïku… Notons que l’histoire d’amour est racontée d’un point de vue uniquement féminin.
L’ordre chronologique ayant été respecté par l’éditeur, faisons de même ici.
1984 : du passé au présent au passé
long winter night / digging up / old love letters p. 16
Le passé devient (le) présent. Les allers-retours dans le temps amenuisent-ils les chocs émotionnels, allègent-ils les souffrances physiques, atténuent-ils l’accablante solitude ?
with each sob / I know / how much I love you p. 21
Se remémorer un amour de jeunesse ou un grand amour force la protagoniste ou la narratrice ou l’autrice à revivre un passé chargé d’émotions. La notion du double dissipe peut-être son immense douleur. Cette notion réfère-t-elle à l’alter ego de l’autrice ou encore à la jeune fille qu’elle fut jadis ? À une rivale potentielle ?
making love / I am you / I am she p. 22
Laissons Jocelyne Villeneuve s’exprimer : « La solitude, la lutte pour la vie, l’angoisse de la mort sont des réalités difficiles à supporter, mais on ne peut pas se permettre de les refouler dans l’inconscience. (…) Et l’imagination, le rêve sont des moyens qui nous permettent d’affronter, puis de dépasser ses limites (…) »2
after the loving / I wake only to wish for / a sequel to my dream p. 37
L’année s’achève sur un regard neuf de ce qui est et de ce qui n’est pas. Serait-ce un début de paix intérieure ?
swirl of autumn leaves / the crippled girl / rises to bloom p. 49
1985 : écrire la solitude, le rêve
À qui confier sa détresse, si ce n’est à l’écriture ?
new year’s day / in my new waterbed / the same unspoken loneliness p. 58
Dans la pure forme du haïku érotique, l’amoureuse déçue illustre son credo.
thinking of ways to reach you – / a caterpillar / inching up the pine tree p. 59
La blessure émotionnelle décroît-elle avec le temps ? Un cœur en lambeaux peut-il être raccommodé progressivement ? Dans ce cas-ci, l’écriture, la poésie, la musique participent à la guérison. On peut toutefois ressasser, jusqu’à la nausée, une histoire d’amour inachevée.
still a long way off / from love’s end / dawn p. 67
1986 : vers l’élévation
Cet homme devine-t-il les sentiments de cette femme qui se consume d’amour pour lui ? Croit-il, ou préfère-t-il croire, qu’il s’agit simplement d’une amitié profonde ? Pour sa part, l’amoureuse estime que penser à l’élu de son cœur suffit pour être comblée.
when I think of you / it seems / enough p. 73
Qu’est-ce que cela apporte, que l’amour soit absolu, contrarié, inassouvi, impossible, platonique, romanesque, sans espoir, à travers les âges, peu importe les conditions de vie ? Que des carnets intimes soient révélés, au grand public, 22 ans après le décès de l’autrice ? Les écrits personnels, dévoilés de façon posthume, seraient-ils la seule issue pour libérer une âme, un cœur d’un lourd secret ?
why talk about you / no one would know / what the words meant p. 74
L’avant-dernier sous-volet intitulé « Love » cultive un érotisme intense. Réminiscences d’une relation sulfureuse ou d’un fantasme puissant ?
your fingers / striking different notes / within me p. 80
La fin d’une vie n’implique pas nécessairement la fin d’un amour.
the end of a lifetime / yet loving / continues p. 84
De la descente à l’élévation, tout passe par l’écriture. Trois ans pour boucler la boucle. Laissons le mot de la fin à Jocelyne Villeneuve : « on peut rêver et en même temps garder un pied sur terre ».3
© Janick Belleau
11 août 2021
Notes
1. Un article
d’André Duhaime mentionne que l’autrice « n’a pu écrire que grâce aux mains qu’on lui
prêtait. » dans la Revue Haïkaï (défunte), « Début du haïku en Amérique française », 31 mars 2006 ; lire la
reproduction dudit article sur le site https://terebess.hu/english/haiku/villeneuve.html
2. Janelle Bast, Revue Liaison no 69, « Jocelyne Villeneuve –
Le pouvoir de l’imaginaire », novembre 1992, pp. 36-37 ; https://www.erudit.org/fr/revues/liaison/1992-n69-liaison1172684/42794ac.pdf
3. ibid
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