HCSHR 4:15—DU TANKA QUÉBÉCOIS anthologie et textes inédits, sous la direction de Patrick Simon
HCSHR 4:15—DU TANKA QUÉBÉCOIS anthologie et textes inédits, sous la direction de Patrick Simon, Éditions du tanka francophone, Montréal, Québec, 2021. 978-2-92-382960-9. 158 pages. 25$ www.revue-tanka-francophone.com
recension par Diane Descôteaux
Faire la recension d’une anthologie de textes inédits est une chose en soi, mais effectuer la recension d’une anthologie d’anthologies et de textes inédits, dont la moitié de l’ouvrage est issue des tankas coups de cœur suivis de ceux publiés aux Éditions du tanka francophone de 2006 à 2020, est une tout autre affaire ! D’abord, cela représente certes une aventure des plus agréables puisqu’il s’agit de la plus belle mouture que ces 28 kajins québécois.es nous ont offerte au cours des 14 dernières années, à laquelle vient s’ajouter leur plus récente production. Mais cela constitue, en revanche, un défi de taille pour moi au niveau du choix déchirant à faire lors de la sélection, ne pouvant hélas tous les citer, et de la concision dans ma présentation afin de ne pas vous dévoiler toutes les perles que renferme ce florilège !
Après trois lectures attentives, j’ai remarqué que les tankas sélectionnés tournaient principalement autour de trois sphères thématiques : d’abord la nostalgie, incluant ce vague à l’âme autour de notre finitude, que le responsable du tri a fait rivaliser avec des poèmes teintés d’humour comme pour équilibrer la charge émotionnelle de l’ouvrage auquel, enfin, se sont greffés des textes pleins d’espoir.
Au chapitre de la nostalgie, celui de Janick Belleau m’interpelle tout particulièrement « Cour intérieur / du mémorial de la Marseillaise / gît une poupée / sosie de la mienne enfant / la seule que l’on m’ait offerte » (p.22). Probablement, parce qu’en tant que fillette moi-même, je n’eus qu’une unique poupée de toute mon enfance ! Dans la première partie du tanka, le verbe gésir vient renforcer l’image véhiculée par la Marseillaise, nous plongeant dans une atmosphère d’infinie tristesse, dont la portée affective liée à un grand nombre de morts d’hommes est accablante, alors que le diptyque fait appel à un souvenir de l’autrice réveillant en elle, et par ricochet en nous, la nostalgie, soit d’un passé lointain, soit d’un désir insatisfait.
Il en va ainsi de quelques autres beaux textes du livre :
Nuit
de décembre
les mots se sont gelés
le silence aussi
en vain le feu allumé
en vain le vin rouge versé Micheline Beaudry
(p.45)
Mais il en est aussi dont le diptyque comporte une note d’espoir :
Masque
du Pérou
des perles émeraude
s’échappent des yeux
comme je serais riche
avec de telles larmes Maxianne Berger
(p.25)
Derrière
l’église
il repose dans le jardin
sans gants ni bêche
seule maintenant je surveille
l’éclosion des pivoines Céline Landry
(p.62)
Puis, certains kajins ont ce talent de jouer avec les contrastes qui, au premier coup d’œil, peuvent faire sourire, ayant pour mission d’alléger la gravité du propos, tel que ce tanka d’André Vézina dans lequel on sent toute la mélancolie de l’été révolu à travers un magnifique kigo jumelé au désespoir que vivent les migrants : « Direction sud / un voilier d’outardes / traverse le ciel / des milliers d’exilés / montent vers le Nord ». (p.83)
En seconde place et non la moindre, viennent les tankas dont la légèreté est tout à fait rafraîchissante. Micheline Aubé ouvre le bal de belle manière, ses textes nous proposant un heureux hymen entre une riante image qu’elle associera à un souvenir nostalgique sans toutefois glisser dans le pathos « La tourterelle / marche en se dandinant / débordement / ma mère dans ses rondeurs / dégageait tant de grâce ». (p.20)
Lui succèdent des wakas d’un humour incontestable :
Sans
décrocher la lune
voler au-dessus des nuages
y manger même
ça fait plaisir à voir
dire qu’il pleut en bas André Duhaime
(p.57)
Naissance
des ombres
poussière d’étoiles sur la neige
la fin du sentier
je suis bloqué à la frontière
du pays des motoneiges Rodrigo Sandoval
(p.72)
Enfin, sans vouloir lui attribuer une étiquette, j’ai eu peine à choisir parmi la brochette étonnante de tankas d’André Vézina, tous plus divertissants les uns que les autres « Couchée / dans mon cahier d’écolier / une feuille morte / endormie à mon côté / ronfle mon premier amour ». (p.80)
Revenant aux catégories qui ont retenu mon attention, l’espoir figure parmi celles-ci dans les tankas où l’on retrouve quelque chose qu’on croyait avoir perdu ou que l’on souhaite dans nos rêves les plus fous !
À
ma fenêtre
le vol d’une hirondelle
ravive le ciel
cette lueur dans tes yeux
je la croyais disparue Claire Bergeron
(p.51)
Là-bas
notre maison
entre champs et fardoche
j’ose espérer
que ta dernière pensée
fut pour moi Micheline
Comtois-Cécyre (p.106)
Un
soleil ardent
tout au long du jour
m’a réchauffée
la nuit un rêve
le ramène Huguette
Ducharme (p.113)
Et ce tout dernier poème de Céline Lebel, auquel chacun de nous voudrait bien s’identifier tant il est rempli de cette joyeuse espérance et d’une apparente frivolité malgré toute la solennité du dire « Les feuilles en folie / dans le grand vent d’automne / cabriolent et virevoltent / quand je serai morte / je danserai moi aussi ». (p.119)
Ce qui complète ici la recension d’un ouvrage qui aurait mérité beaucoup plus de citations que voilà pour lui rendre justice… J’ai dû me faire violence pour ne pas en rajouter, car que vous resterait-il à lire alors ? En terminant, je dirais que Du tanka québécois — anthologie et textes inédits est un incontournable à acquérir, à lire puis à incorporer à sa bibliothèque.
Diane Descôteaux
Mai 2021
***
retour à Haiku Canada retour à l’accueil des recensions HCShōHyoRan