HCSHR 4:14 —Marie-Louise Montignot, Bourrasque dans l’arbuste

HCSHR 4:14—Marie-Louise Montignot, Bourrasque dans l’arbuste. Saint-Denis, France: Edilivre. ISBN 978-2-414-49611-2. 82 pages. 11,50 www.edilivre.com

recension par Maxianne Berger

Au cours du mois de février, lors d’un échange de courriels avec Dominique Chipot, nous avions parlé de la structure répétée des haïkus car je venais de rédiger un article en anglais sur quelques variations1. Chipot m’a suggéré le dernier recueil de Marie-Louise Montignot, Bourrasque dans l’arbuste. Maintenant, après une lecture plus approfondie de ce livre, la toute première réaction que j’avais envoyée à Chipot tient toujours: «déjà en feuilletant je vois combien sa conception du haïku dépasse l'ordinaire pour se montrer extraordinaire dans tous les sens du mot. Elle ose, elle risque, elle joue.»

Quand Shiki a suggéré le mot «haïku» il a pris le premier élément de haïkaïludiqueet le suffixe kupoème. Et je me demande s’il est possible de remettre cet esprit ludique dans le haïku—pas dans les sujets, car le senryu est déjà là—mais dans l’énoncé du poème, que ce soit haïku avec kigo, ou senryu … un vers, deux vers, calligrammes, calembours …

Pour revenir à Montignot, ses haïkus et senryus présentent divers aspects du haïkaï—du jeuqui méritent l’attentionvoire l’étudedes lecteurs. Parmi ses haïkus plus traditionnels, déjà au tout début du livre, on observe la différence: un monostique.

sur le bout de la langue plusieurs mots font la queue

Chipot a identifié pour moi deux poètes qui composent des haïkus monostiques en français: Roland Halbert2 et Montignot. Si j’interprète bien ce qu’il m’a dit, la difficulté pour les monostiques en français serait la largeur des pages (ou des colonnes) qui ne les accommodent pas, et aussi, dans le cas de revues, qu’il y en a moins en français, alors moins de chance de les publier. Voici un haïku de Montignot qui appuie bien ces propos. Sur la page on voit un distique:

plus âgée que mon père quand il est mort plus jeune
que ma mère

Et comment puis-je savoir que ce poème est conçu comme monostique? Parce que la version en langue anglaise de ce poème paraît dans la revue Under the Bashō (7 mai 2020)

older than my father when he died younger than my mother

Le responsable de la section monostique de Under the Bashō, le poète Danois Johannes S. H. Bjerg (aussi directeur de la revue Bones), indique que le haïku monostique «doit être lu en un vers ininterrompu sans indications de pauses» (ma traduction). Il continue:

Quoiqu’on pourrait souvent diviser en forme classique de trois vers, ils permettent cependant des interprétations différentes selon la façon que le lecteur choisirait de suivre les mouvements du poème à travers les diverses variations de la syntaxe qui seraient perdues si la forme monostique n’était pas retenue.

D’autres incarnent un mouvement unique qui se projette le long du vers à travers les images qui sont là sans pause et sans césure pour produire l’effet.

Que Montignot ait publié dans Under the Basho (et aussi dans Bones, par exemple) appuie le commentaire de Chipot au sujet des revues anglophones. Ces deux sont plus «expérimentaux» mais même les revues plus traditionnelles publient des haïkus non-traditionnels. Cependant, on sait aussi que l’anglais est plus bref que le français, et peut se présenter en un seul vers sans dépasser la largeur de la page. Or, un livre peut être imprimé sur des pages tournées 900, le côté long étant l’horizontal. J’ai une demi-douzaine de tels livres dans ma bibliothèque personnelle.

Montignot présente bien d’autres exemples d’innovation dans sa façon de composer ses haïkus. Par exemple, elle utilise ici des symboles au lieu de mots:

@@@@@
la patte
du chat

Dans ce haïku-ci, on trouve une projection calligrammesque:

un beau jour
d
e
s
c
e
n
t
e
e
n
r
a
p
p
e
l
d
e
p
u
i
s
l
e
p
l
a
f
o
n
d
l’araignée

Et moi aussi je rappelle: le haïku japonais, monostique en général, s’écrit en ligne verticale au gré du haïjin. Alors, pourquoi se priver de cette possibilité en français!

Il me reste de la place pour un dernier exemple: une semblance d’absurdité qui invite le lecteur à s’ouvrir l’esprit.

l’actrice a vingt ans
de moins
depuis le poulailler

Or cette juxtaposition n’est pas du tout absurde. Un nouveau poulailler chez soi peut facilement ramener à l’enfance. L’importance, ici, c’est que Montignot nous montre l’effet sans vraiment expliquer le lien, ni en dicter l’interprétation. Elle dit moins. Elle dit assez. Or, ignorante de la terminologie spécialisée du théâtre, je me suis contentée d’adorer les mots sans comprendre. Mais vu du poulailler, c'est à dire du plus haut balcon dans le théâtre3, le haïku est très clair si le visage de la comédienne reste rajeuni à cause de sa distance du spectateur là-haut.

Les puristes du haïku en français considéreront sans doute que certains exemples présentés ne sont, strictement dits, ni des haïkus ni des senryus. Mais pour les aventureuses et les aventureux qui sont à la recherche de fraîcheur au-delà du «strictement», il y a bien d’autres surprises dans ce Bourrasque dans l’arbuste de Marie-Louise Montignot.

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1 Maxianne Berger, «An infrequent structure for 3-line haiku», Haiku Canada Review 15:1 février 2021, pages 14-21.
2 Un numéro spécial de
L’Ours dansant (no 8b, avril 2021) présente les haïkus graphiques de Roland Halbert . J'ajoute ici qu'il y a plus de 30 ans, André Duhaime écrivait des haïkus monostiques et distiques (cf Micheline Beaudry, L'Homme qui plantait des haïkus. Les Éditions de la Francophonie, 2013; page 67). On peut lire ces poèmes de Duhaime, par exemple, dans son recueil Au jour le jour (Éditions du Noroît, 1988).
3.
Je remercie Micheline Comtois-Cécyre pour l’explication..

 Maxianne Berger
mai 2021

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