HCSHR 4:6 — ÉCRIRE, LIRE – Le Dit de 100 poètes contemporains. Collectif de haïkus inédits dirigé par Janick Belleau
HCSHR 4:6 — ÉCRIRE, LIRE – Le Dit de 100 poètes contemporains. Collectif de haïkus inédits dirigé par Janick Belleau, illustrations de Pauline Vaubrun, Paris : Éditions Pippa, 2020. ISBN: 978-2-37679-045-7, 163 pages. 20 € pippa.fr
recension par André Duhaime
C’est une publication sobre et impeccable des Éditions Pippa, maison très active depuis quelques années dans le domaine de la poésie et du haïku tout particulièrement. Les nombreuses illustrations au crayon, à l’encre noire, de Pauline Vaubrun permettent de prendre de légères pauses durant la lecture, l’imagination voyageant autrement.
Voici un projet admirable par la quantité de travail accompli par Janick Belleau. Cent poètes ont répondu à l’appel qu'elle a lancé sur « écrire » et « lire ». De tout ce qui a été soumis, un peu plus de 400 « poèmes » ont été retenus et regroupés en quatre volets: « Écrire » (86 « poèmes »), « Le quotidien entre écrire et lire » (112 « poèmes »), « Lire » (111 « poèmes ») et « Hommage à l’écriture » ( « 112 haïkus et 9 tankas »).
Je me dois de soulever deux questions face à cette publication.
D’une part, écrire sur l’écriture et la lecture. Ce n’est pas traditionnel comme ce qui s’écrit selon le « shasei » (description d'après nature ou croquis sur le vif – de Shiki Masaoka, 1867-1902) et le « kachō fūei » (« fleur »/» papillon » ou chanter la nature – de Kyoshi Takahama, 1874-1959).
D’autre part, le choix des textes pour un collectif de haïkus. Dans la préface, Janick Belleau écrit : « Vous trouverez dans cet ouvrage quatre types de poèmes inédits: des haïkus traditionnels […] des tercets […] des senryūs […] et des haïkus libres […] », ce à quoi il faut ajouter quelques tankas. Il y a donc cinq types de poèmes. Pourquoi inclure des « tercets » et ainsi engendrer une mécompréhension de ce qu’est le haïku. Le tercet porte à la confusion par rapport au haïku devenant une sorte de coquille vidée de son essence. Le tercet (qui est par définition une strophe non autonome de trois vers) emprunte généralement aux figures de style traditionnelles de la poésie occidentale alors que, sans artifices littéraires, le haïku doit être la perception d’un instant par les sens. Le haïkiste, pour paraphraser Corine Atlan, doit être « [a]ttentif à voir directement la réalité telle qu’elle est – et non telle que l’intellect la cartographie, la décrit ou la conçoit […] »1.
Cela dit, il y a plusieurs haïkus qui me semblent tout à fait réussis, et par le moment qui peut être ressenti et partagé, et par l’efficace simplicité. En voici quelques-uns.
Volet 1 « Écrire »:
écriture bâton –
elle fait son exercice
sur la vitre embuée Graziella
Dupuy (p. 14)
humeur du jour
agencer les lettres aimantées
sur mon frigo Sandra
St-Laurent (p. 32)
sur la rue
les cendres
de livres brûlés Mike
Montreuil (p. 35)
Volet 2 « Le quotidien entre écrire et lire »:
odeurs d’enfance
le livre de recettes
de ma mère morte Céline Landry (p. 53)
au crayon noir
occupée à imaginer
mon épitaphe Marie
Derley (p. 64)
urgence bondée
dans la paume d’une infirmière
un nom griffonné Andrée
Paradis (p. 74)
Volet 3 « Lire »:
nous manteaux serrés
dans l’ascenseur un enfant ouvre
son livre d’aventures Nicolas Sauvage (p.
83)
Salon du Livre
l’enfant patiente
tablette en mains Patrick
Fétu (p. 83)
retour à la maison
il m’attend sur le quai
un livre à la main Françoise
Maurice (p. 102)
Volet 4 « Hommage à l’écriture »:
jour de tempête
au coin du feu
Je suis un chat Christine
Portelance (p. 127)
l’adieu au Japon
au fond de mon sac à dos
Le Pavillon d’or Isabelle
Freihuber-Ypsilantis (p. 140)
journée de mouille
un temps pour Laferrière
et un peu de jazz Denise
Therriault-Ruest (p. 145)
Finalement, je tiens à souligner l’actualité de ce projet qui a été réalisé durant la présente pandémie, quelques haïkus en rendent compte. Les mots d’Hélène Leclerc conviennent à ce sujet: « J’écris pour célébrer ce qui reste de beauté dans le monde en cette époque de grands bouleversements. »2
vie solitaire –
les personnages des livres
pour compagnons Agnès Malgras (p.
116)
télétravail –
son clavier surélevé
par Le Capital Carmelina
Carracillo (p. 122)
voyage annulé
par le coronavirus
relire La Peste Géralda
Lafrance (p. 136)
André
Duhaime
Haiku Canada Review
Vol. 15 no 1, février 2021, pp 47-51.
_____________________________
1 Corine Atlan et Zéno Bianu, Le poème court japonais d’aujourd’hui, NRF, poésie Gallimard, 2007, p. 11.
2 Hélène Leclerc, La route des oiseaux de mer, Éditions David, 2020, p. 12.
***
retour à Haiku Canada retour à l’accueil des recensions HCShōHyoRan